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S.P. HUNTINGTON

Le choc des Civilisations

« l'identité culturelle est ce qui importe le plus à beaucoup de personnes. On se découvre de nouvelles identités ; on en redécouvre aussi souvent d'anciennes. Et, qu'ils soient anciens ou nouveaux, défiler en brandissant des drapeaux conduit à entrer en guerre contre des ennemis anciens mais aussi nouveaux, bien souvent. »

 

« Tous ceux qui sont en quête d'identité et d'unité ethnique ont besoin d'ennemis. »

 

« Quel est le thème central de ce livre ? Le fait que la culture, les identités culturelles qui, à un niveau grossier, sont des identités de civilisation, déterminent les structures de cohésion, de désintégration et de conflits dans le monde d'après la guerre froide. »

 

Nous éviterons une guerre généralisée entre civilisations si, dans le monde entier, les chefs politiques admettent que la politique globale est devenue multicivilisationnelle et coopèrent à préserver cet état de fait. »

 

« Les peuples et les nations s'efforcent de répondre à la question fondamentale entre toutes pour les humains : qui sommes-nous ?...Ils se définissent en termes de lignage, de religion, de langue, d'histoire, de valeurs, d'habitudes et d'institutions. Ils s'identifient à des groupes culturels : tribus, ethnies, communautés religieuses, nations et, au niveau le plus large, civilisations. »

 

« les Etats-nations restent les principaux acteurs sur la scène internationale. Comme par le passé, leur comportement est déterminé par la quête de la puissance et de la richesse. »

 

La rivalité entre grandes puissances est remplacée par le choc des civilisations.

Dans ce monde nouveau, les conflits les plus étendus, les plus importants et les plus dangereux n'auront pas lieu entre classes sociales, entre riches et pauvres, entre groupes définis selon des critères économiques, mais entre peuples appartenant à différentes entités culturelles...Au cours des guerres yougoslaves, la Russie a apporté son soutien diplomatique aux Serbes, tandis que l'Arabie Saoudite, la Turquie, l'Iran et la Libye fournissaient de l'argent et des armes aux Bosniaques, non pas pour des raisons idéologiques, politiques, ou économiques, mais par affinité culturelle. »

 

« L'Occident n'est plus désormais le seul à être puissant. La politique internationale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle. »

 

« A la fin des conflits majeurs, on rêve la plupart du temps d'un monde uni et solidaire. En fait, raisonner en opposant deux mondes est récurrent dans l'histoire. On a toujours opposé nous et eux, le groupe et les autres, la civilisation et les barbares. Les intellectuels eux-mêmes ont divisé le monde en Orient et en Occident, Nord et Sud, centre et périphérie. Les musulmans, traditionnellement, divisent le monde en Dar al-Islam et Dar al-Harb, le côté de la paix et celui de la guerre. »

 

« Des institutions internationales ont désormais le droit de juger et de réguler l'action des Etats à l'intérieur de leur propre territoire. Dans certains cas, surtout en Europe, elles ont acquis des fonctions importantes...Les gouvernements tendent à perdre du pouvoir, lequel est de plus en plus étendu à des entités infra-étatiques, régionales, provinciales et locales. Dans de nombreux Etats, dont ceux du monde développé, des mouvements régionalistes font entendre des revendications autonomistes ou sécessionnistes. »

 

« De tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est en général la religion, comme le soulignaient les Athéniens...Au contraire, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s'opposer, comme c'est le cas au Liban, dans l'ex-Yougoslavie et dans le subcontinent indien. »

« Selon Quigley, les civilisations passent par sept étapes : le mélange, la gestation, l'expansion, l'âge du conflit, la domination universelle, le déclin et l'invasion. »

 

« L'occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures (rares ont été les membres d'autres civilisations à se convertir), mais plutôt par sa supériorité à organiser sa violence organisée. Les Occidentaux l'oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais. »

 

« En tant que civilisation de troisième génération, l'Occident doit beaucoup aux civilisations antérieures, notamment à la civilisation antique, dont il a hérité : la philosophie et le rationalisme grecs, le droit romain, le latin et le christianisme. »

 

« La séparation entre le pouvoir spirituel et temporel a beaucoup contribué au développement de la liberté en Occident. »

 

« L'individualisme reste aujourd'hui encore un signe distinctif de l'Occident. »

 

« Qu'est-ce qui rend séduisantes une culture et une idéologie ? Elles séduisent dès lors qu'elles semblent enracinées dans l'influence et le succès matériels. »

 

« A mesure que la puissance de l'Occident décline, sa capacité à imposer ses concepts des droits de l'homme, du libéralisme et de la démocratie sur les autres civilisations décline aussi, de même que l'attrait de ces valeurs sur les autres civilisations. »

 

« Les hommes politiques des sociétés non occidentales ne gagnent pas les élections en montrant combien ils sont occidentalisés. La concurrence électorale, au contraire, les incite à aller dans le sens de ce qui est le plus populaire, en général ce qui est ethnique, nationaliste et religieux. »

 

« Pendant la première moitié du XXème siècle, les élites intellectuelles ont en général accepté de considérer que la modernisation économique et sociale conduisait au recul de la religion. »

 

« Au milieu des années soixante-dix, comme l'a fait observer Gilles Kepel, la tendance à la sécularisation et à l'accord entre religion et laïcité s'est inversée. Une nouvelle approche de la religion est apparue qui n'avait plus pour but de s'adapter aux valeurs laïques mais de redonner un fondement sacré à l'organisation de la société. »

 

« La résurgence religieuse à travers le monde est une réaction à la laïcisation, au relativisme moral et à la tolérance individuelle, et une réaffirmation des valeurs d'ordre, de discipline, de travail, d'entraide et de solidarité humaine. Les groupes religieux rencontrent les besoins sociaux laissés sans réponses par les bureaucraties étatiques. Cela recouvre les services médicaux et hospitaliers, les jardins d'enfants et les écoles, les soins aux personnes âgées, l'assistance en cas de catastrophes naturelles, le soutien social en cas de récession économique. La chute de l'ordre et de la société civile crée des vides qui sont remplis par des groupes religieux, souvent fondamentalistes. »

 

« Selon un prêtre brésilien, à la différence de l'Eglise catholique, les Eglises protestantes se soucient des besoins élémentaires de la personne – chaleur humaine, soin, expérience spirituelle profonde. »

 

« Le renouveau islamique, a-t-on dit, était aussi un produit du déclin de puissance et de prestige de l'Occident...A mesure que l'Occident perd sa suprématie, ses idéaux et ses institutions perdent leur lustre. Plus particulièrement, la Résurgence a été stimulée et mue par le boom du pétrole dans les années soixante-dix, qui a accru la richesse et la puissance de nombreuses nations musulmanes et les a rendues capables d'inverser les relations de domination et de subordination qui existaient avec l'Occident. »

 

« Les frontières politiques se redessinent de plus en plus pour correspondre à des frontières culturelles, c'est à dire ethniques, religieuses ou civilisationnelles...Les frontières entre civilisations sont désormais les principaux points de conflit à l'échelon mondial. »

 

« Haïr fait partie de l'humanité de l'homme. Pour nous définir et nous mobiliser, nous avons besoin d'ennemis : des concurrents en affaires, des rivaux dans notre carrière, des opposants en politique. Nous nous méfions de ceux qui sont différents et nous les considérons comme des menaces...La fin de la guerre froide n'a pas fait disparaître les conflits ; elle a donné naissance à de nouvelles identités fondées sur la culture. »

 

« Les chocs dangereux à l'avenir risquent de venir de l'interaction de l'arrogance occidentale, de l'intolérance islamique et de l'affirmation de soi chinoise. »

 

« L'occident, en particulier les Etats-Unis, qui ont toujours été une nation missionnaire, croit que les non-Occidentaux devraient adopter les valeurs occidentales : la démocratie, le libre-échange, la séparation des pouvoirs, les droits de l'homme, l'individualisme, l'Etat de droit, et conformer leurs institutions à ces valeurs. »

 

« Les Etats non-occidentaux ont tiré les leçons de la guerre du Golfe : ne pas se battre avec les Etats-Unis à moins d'avoir les armes nucléaires. »

 

« Les civilisations forment les tribus humaines les plus vastes, et le choc des civilisations est un conflit tribal à l'échelle globale. »

 

« Certains occidentaux, comme le président Bill Clinton, soutiennent que l'Occident n'a pas de problème avec l'Islam, mais seulement avec les islamistes extrémistes violents. Quatorze cents ans d'histoire démontrent le contraire. Les relations entre l'Islam et le Christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été agitées...Le conflit est un produit de leur différence, en particulier de l'idée musulmane de l'islam comme mode de vie transcendant, unifiant religion et politique par opposition à la conception chrétienne de la séparation du spirituel et du temporel. Le conflit vient aussi de leur similarité. Tous deux sont des religions missionnaires dont les membres ont l'obligation de convertir les non-croyants. L'Islam et le christianisme, avec le judaïsme, ont aussi une conception théologique de l'histoire qui contraste avec la vision cyclique et statique qui prévaut dans les autres civilisations. »

 

« un mélange de facteurs a durci le conflit entre l'Islam et l'Occident à la fin du XXème siècle.

Tout d'abord, la croissance de la population musulmane a accru le nombre de chômeurs et des défavorisés chez les jeunes, qui ont embrassé la cause islamiste, exerce une pression sur les sociétés voisines et émigré en Occident.

Deuxièmement, la résurgence de l'Islam a redonné aux musulmans foi dans les mérites propres de leur civilisation et de leurs valeurs en comparaison de celles de l'Occident.

Troisièmement, les efforts accomplis parallèlement par l'Occident pour universaliser ses valeurs et ses institutions, pour préserver sa supériorité militaire et économique et pour intervenir dans des conflits internes au monde musulman ont engendré un grand ressentiment chez les musulmans.

Quatrièmement, la chute du communisme a fait disparaître l'ennemi commun de l'Occident et de l'Islam, de sorte que chaque camp est désormais la principale menace de l'autre.

Cinquièmement, les échanges et les contacts de plus en plus étroits entre musulmans et occidentaux stimulent leur conscience identitaire et leur montrent leurs différences. »

 

« Les musulmans considèrent que la culture occidentale est matérialiste, corrompue, décadente et immorale. Ils la jugent aussi séduisante et soulignent donc d'autant combien il est nécessaire de résister à son impact sur leur mode de vie. De plus en plus, les musulmans critiquent non le fait que l'Occident adhère à une religion imparfaite, erronée, qui ne serait pas du tout « la religion du livre », mais le fait qu'il n'adhère plus à aucune religion. Aux yeux des musulmans, le laïcisme, l'irréligiosité et donc l'immoralisme occidentaux sont pires que le christianisme qui les a produits. Pendant la guerre froide, l'adversaire de l'Occident, c'était le « communisme sans Dieu » ; au cours du conflit des civilisations d'après la guerre froide, pour les musulmans, c'est désormais « l'Occident sans Dieu. »

 

« L'ethos confucéen dominant dans de nombreuses sociétés asiatiques valorise l'autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels, l'importance du consensus, le refus du conflit, la crainte de perdre la face et, de façon générale, la suprématie de l'Etat sur la société et de la société sur l'individu. En outre, les Asiatiques ont tendance à penser l'évolution de leur société en siècles et en millénaires, et à donner la priorité aux gains à long terme. Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, accordée à la liberté, à l'égalité, à la démocratie et à l'individualisme, ainsi qu'avec la propension américaine à se méfier du gouvernement, à s'opposer à l'autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l'homme, à oublier le passé, à ignorer l'avenir et à se concentrer sur les gains immédiats. Ces différences sociales et culturelles fondamentales sont des sources de conflit. »

 

« Depuis plus de deux cents ans, les Etats-Unis s'efforcent d'empêcher qu'émerge une puissance dominante en Europe. »

 

« Lorsqu'une civilisation atteint l'universalité, son peuple est aveuglé par ce que Toynbee a appelé « le mirage de l'immortalité » et est persuadé d'être parvenu au stade ultime de l'évolution de la société humaine. Ce fut le cas pour l'Empire romain, le califat des Abassides, l'empire Mongol et l'empire Ottoman...C'était le cas lorsque la Pax Britannica était à son apogée. En 1897, pour la classe moyenne anglaise, « l'histoire était finie ! […] Et les Anglais avaient toutes les raisons de se réjouir de la félicité éternelle qu'entraînerait cette fin de l'histoire. » Toutefois, les sociétés qui supposent que leur histoire est à son terme sont, en général, des sociétés proches du déclin. »

 

« Le déclin moral, le suicide culturel et la désunion politique que constituent pour l'Occident, des problèmes beaucoup plus lourds de sens que les questions économiques et démographiques. Parmi les plus évidentes manifestations du déclin moral, citons :

  1. le développement de comportements antisociaux, tels que le crime, la drogue, et plus généralement la violence ;

  2. le déclin de la famille, se traduisant par l'augmentation du taux des diverses, les naissances illégitimes, les grossesses d'adolescentes et les familles monoparentales ;

  3. le déclin du « capital social », tout du moins aux Etats-Unis, c'est-à-dire la participation la participation plus faible à des associations de bénévoles et, de fait, le relâchement des relations de confiance qui s'y nouent ;

  4. la faiblesse générale de « l'éthique » et la priorité accordée à la complaisance ;

  5. la désaffection pour le savoir et l'activité intellectuelle, qui se manifeste aux Etats-Unis par la baisse du niveau scolaire.

 

La richesse future de l'Occident, et son influence sur les autres sociétés dépendent essentiellement de sa capacité à faire face à ces problèmes, ce qui donne évidemment du poids aux prétentions à la supériorité morale que revendiquent les musulmans et les peuples d'Asie.

La culture occidentale est contestée par certains groupes à l'intérieur même des sociétés de l'Ouest. Cette remise en cause est le fait d'immigrés issus d'autres civilisations, qui refusent l'assimilation et persistent à défendre et à propager les valeurs, les coutumes et la culture de leur société d'origine. Ce phénomène est particulièrement net chez les musulmans installés en Europe, bien qu'ils ne représentent qu'une petite minorité. C'est également manifeste, à un degré moindre, aux Etats-Unis, chez les Hispaniques qui constitue une forte minorité. Si l'assimilation des Hispaniques échoue, les Etats-Unis deviendront un pays divisé, avec tout ce que cela comporte comme éventuelles dissensions internes et risques de conflits. En Europe, la civilisation occidentale pourrait également être minée par le déclin de son fondement essentiel, la chrétienté. De moins en moins d'Européens professent des croyances, observent des pratiques et participent à des activités religieuses. Cette tendance résulte plus d'une indifférence que d'une hostilité à la religion. Les idées, les valeurs et les pratiques religieuses sont malgré tout présentes dans la civilisation européenne. « Les Suédois sont sans doute le peuple le moins religieux d'Europe, a dit l'un d'entre eux, mais pour comprendre vraiment ce pays, il faut savoir que toutes nos institutions, nos pratiques sociales, notre vie familiale, notre politique et notre façon de vivre sont façonnées par notre héritage luthérien. » Les Américains, à l'opposé des Européens, croient massivement en Dieu, s'imaginent être un peuple religieux et vont en grand nombre à l'église. Cette résurgence de la religion, qui n'était pas évidente au milieu des années quatre-vingt, s'est manifestée lors de la décennie suivante par une intense activité religieuse. L'érosion du christianisme chez les Occidentaux n'est, au pire, probablement qu'une menace à très long terme pour le salut de la civilisation occidentale.

Les Etats-Unis sont confrontés à une menace plus immédiate et plus sérieuse. Historiquement, l'identité nationale américaine a pour fondement culturel l'héritage de la civilisation occidentale et pour base politique l'adhésion massive des américains aux principes suivants : liberté, démocratie, individualisme, égalité devant la loi, respect de la Constitution et de la propriété privée. A la fin du XXème siècle, ces composantes politiques et culturelles de l'identité culturelle américaine ont été violemment et constamment attaqués par une petite minorité influente d'intellectuels et de spécialistes du droit. Au nom du multiculturalisme, ils ont dénoncé l'assimilation des Etats-Unis à la civilisation occidentale, niant l'existence d'une culture américaine commune et mettant l'accent sur la spécificité culturelle de groupes raciaux, ethniques et autres. Ils ont dénoncé, dans l'un de leurs textes, « le parti pris systématique pour la culture européenne et ses dérivés » dans l'éducation et « la prédominance de la monoculture européenne-américaine ». Les partisans du multiculturalisme sont, comme l'a dit Arthur M. Schlesinger Jr, « très souvent des séparatistes ethnocentriques qui ne voient dans l'héritage occidental que les crimes de l'Occident ». Ils veulent « débarrasser les américains d'un héritage européen honteux et cherchent la rédemption dans des cultures non européennes. »

 

« L'Europe, comme l'a dit Arthur M. Schlesinger Jr, est : « la source, l'unique source des « notions de liberté individuelle, de démocratie politique, d'autorité de la loi, de droits de l'homme et de la liberté culturelle […] . Ce sont des idées typiquement européennes, elles ne sont ni asiatiques, ni africaines ou moyen-orientales, sauf par adoption. »

 

« Toute intervention de l'Occident dans les affaires des autres civilisations est probablement la plus dangereuse cause d'instabilité et de conflit dans un monde aux civilisations multiples. »

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